« Ici, l’hiver dure douze mois, le reste c’est l’été » (concours short édition -15°)
- pauletiennejean
- 9 mai 2021
- 2 min de lecture
Moins quinze degrés!
Que fait donc ce vieillard au milieu de l’immense taïga?
Il marche lentement, voûté, appuyé sur un bâton noueux.
Sentant ma présence, il presse la pas, je le talonne, il se volatilise pour reparaître un peu plus loin.
Brutalement, la forêt si calme, si sereine se transforme en un enfer, un vent violent se lève, force primitive qui emporte tout. La neige danse en tous sens, arbres et rochers disparaissent derrière ce blanc qui tourbillonne avec férocité. Cette blancheur aveuglante me fait plisser les yeux jusqu'à ce qu'ils soient presque fermés.
J 'appelle, hurle mais le vent étouffe ma voix, le monde s'efface autour de moi. Les flocons s'immiscent le long de mon cou entre tissu et peau. Je sens mon sang se refroidir, ma peau devenir glaciale.

Dominant le hurlement des bourrasques déchaînées, un chant rauque, guttural monte vers le ciel, le chant du vieil homme: appel à la Terre pour que cesse cette tempête.
La violence des rafales décroît, un rayon de soleil perce les nuages, le ciel redevient bleu, la nature reprend son souffle. Mon inconnu s’est évanoui dans l’insondable forêt.
Décontenancé, surpris par la violence des éléments impétueux, je reprends, piteux, le chemin de la cabane, le moral en berne. Je me sens seul, irrémédiablement seul.
L’hospitalité des Bouriates n’est pas un vain mot. À l'intérieur de leur tente posée sur le lac gelé, bien à l’abri des vents violents, nous avons dégusté avec gourmandise le fameux omoul chaud: za drouzia!
Charmés de voir mon assiette vide, mes hôtes ont servi le même poisson sur un lit de glace : on a trinqué à l'amitié, on s’est congratulé.
“Je suis un français qui aime le froid et les bons repas." ai-je balbutié en mauvais anglais étayé de forces mimiques.
“Ce matin j’ai vu …”
Les occupants de la "kamtchatka" ont compris, serrés contre moi tous voulaient parler.
Sorti on ne sait d’où un minuscule livre illustré, écrit malheureusement en cyrillique a circulé de mains en mains.
On y voyait nettement un vieillard dépenaillé au regard hypnotique s’arracher le cœur à pleines mains.
Il est écrit, si j’ai bien saisi, que celui qui croisera le regard du vieil homme disparaîtra à tout jamais dans la mystérieuse Sibérie.
Pour exorciser ces images funestes, on a bu, on a chanté, on a pleuré, l'alcool réchauffait les âmes et les corps.
Dehors, le vent tourbillonnant hurlait, étourdi par la vodka aux herbes de la taïga, je titubais.
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