C’est moi, c’est Nathalie ! (concours 2021, Thouaré sur Loire: Erreur sur la personne.)

Jour de pluie, après-midi déprime: impossible de mettre le nez dehors.
Le vent marin souffle en rafale déversant sur la Montagne Noire des trombes d’eau, regarder la télé rajouterait à mon abattement momentané.
J’écoute donc du Souchon en boucle en répertoriant le contenu d’un ancien emballage à chaussures recyclé en boîte à photos.
Est-ce bien raisonnable quand la morosité nous guette ?
Ce “coffre au trésor “ ayant jadis contenu des chaussures de luxe s’avère bourré de vestiges de l’époque argentique.
Nostalgique, j’extrais avidement les clichés de leur écrin.
Les images défilent entre mes doigts: parents, enfants , voyages (en Europe essentiellement: prendre l’avion était un luxe en ces temps-là.), aventures verticales, randonnées, errances, moments heureux…
Que d’émotions ici remuées!
Que d’images sans grande valeur esthétique mais à la charge affective certaine!
Parmi ces tirages, pour la plupart anciens, je viens d 'extraire d’une série dédiée aux années 70 une photo qui ne me dit rien: image carrée sur papier glacé dont les teintes ocres saturent l’ensemble du portrait.
Cette jeune fille qui sourit à la vie, embrassant un canasson n’évoque rien pour moi, je n’ai d’elle aucun souvenir.
Pourtant, c’est une très jolie personne et je me targue d’avoir une bonne mémoire des gens.
Je scrute le détail révélateur, étudie l'arrière-plan, rien…
Les annotations portées d’une écriture à la calligraphie élégante et “girly” au dos du cliché ne laissent pourtant aucun doute sur notre degré d’intimité.
Je m’inquiète, tente d’activer mes souvenirs, toujours rien.
Qui cela peut-il bien être?
Affinons notre analyse.
Illumination, révélation! J’y suis !
Oui c’est ça, ça me revient : Nathalie, les Landes…
Un psy dirait que derrière cet oubli « volontaire », se cache la peur de souffrir.
Ce serait ma façon de nier l’existence de mon ancienne amie, de décréter que je ne veux plus penser à elle pour pouvoir passer à autre chose.
Pourtant, je n’ai pas le sentiment que ce soit ça.
Mon esprit confus vagabonde, pourquoi ne m’en suis je pas souvenu instantanément?
Cet épisode de ma vie avait pourtant été d’une grande intensité; j’étais, à ce moment-là, fougueux jeune homme, prêt à tout quitter pour cette fille.
Malgré cela, mon cerveau avait tout occulté. Mémoire sélective! Je veux bien mais tout de même …
Je me remémore alors les balades à moto roulant à toute vitesse sur les longues lignes droites du département, sans casque, cheveux au vent, les moments tendres au bord de l’Adour, les longues discussions le soir jusqu’à plus d’heure.
Après quelques semaines de cette parenthèse enchantée, j’étais parti reprendre mes études.
On s'était écrit quotidiennement toute une année.
Tous les jours, avec impatience, j'attendais le plaisir de décacheter la petite enveloppe posée sur le guéridon de l’entrée.
Dans ses longues lettres, Nathalie me racontait son quotidien, ses rêves d’avenir.
Un jour … plus rien.
Dans le hall, plus de petites missives bardées de petits cœurs, pas de réponses non plus à mes envois pleins d’incompréhension.
Un pas feutré me sort de ma rêverie: mon épouse vient d'apparaître dans ma bibliothèque-tanière brisant tout net ma rêverie.
- Tu as retrouvé cette photo? dit-elle, observant le portrait sous toutes ses coutures.
C’est marrant qu’elle soit dans cette boîte!
C'est Pauline, une ancienne copine de mon frère !
Comentarios