Espace public.
J 43 du confinement.
Il y a longtemps de cela, avant le repas du soir, j’accompagnais mon père à notre maison des hauts du village où se trouvaient les écuries.
Il fallait garnir les mangeoires et régler les mécanismes pour que les chevaux puissent manger de nuit, une bonne heure avant le lever du soleil. Ainsi, ils avaient bien entamé la digestion avant de se mettre au travail. Nous partions de la maison des quartiers bas (équipée des commodités de l’époque) et nous nous rendions là haut .
Notre trajet empruntait la “cave rouge”:terrible montée qui permettait d'accéder à l’autre partie du village. Au sommet de la “cave rouge” se trouvaient des latrines publiques où systématiquement nous nous arrêtions. On urinait de concert, le regard droit, rivé sur le mur lisse.
J’avais très tôt appris à lire et je déchiffrais les graffitis gravés à l’opinel sur l’ardoise de ces vespasiennes. “Le maire est un âne” “Fifi et une salope” “ le Négus n’a pas de c...s”. On sortait en se rajustant et mon père laissait chaque fois tomber un définitif : "C’est le miroir de la canaille”.
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A 30 min à pied de toute agglomération, sur le mur d’une carrière abandonnée, je suis tombé en arrêt devant une inscription, sorte de dazibao: “A bas la hiérarchie”, graffiti improbable qui a permis à son auteur d’occuper un territoire, de dire: « Je suis là», de raconter des choses à des gens qu’il ne connaît pas mais qui passeront par-là.
En tant que tel le message, (peut être l’extrait d’une chanson) ne me gêne pas. Sur ce genre de support on trouve aussi des phrases au contenu poétique ou philosophique, comme si le lieu invitait à méditer. Sans doute, l’auteur de cette sentence a t il échappé un instant à la surveillance généralisée.
A l'abri des regards, il lui a été possible de s’exprimer anonymement sans censure et sans risque.
L’endroit est tellement charmant, sauvage, bucolique.
Le message délivré est tellement profond,courageux et revendicatif que je ne peux décemment dire à mon épouse qui photographie cette souillure: "C’est le miroir de la canaille”.